Présentation
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Le jardin des délices est une peinture à l’huile sur bois. C’est l’œuvre la plus emblématique de Jérôme Bosch. Bosch appartient à la période des primitifs flamands, c’est-à-dire aux peintres des Pays-Bas bourguignons au XV et au XVI siècle. Généralement, les sujets traités par les primitifs flamands sont de l’ordre du religieux ou plus rarement du mythologique. La majorité des tableaux des primitifs flamands sont peints sur bois. Ils peuvent être un panneau unique ou bien plusieurs panneaux composant un retable ; triptyque o polyptique.
Le jardin des délices est un triptyque, donc il est peint en trois panneaux. Il est possible de fermer les deux volets extérieurs sur le volet du milieu. Le triptyque est daté entre 1494 et 1505. Le triptyque était un format très récurent aux XV et au XVI siècle.
Pour ses dimensions, Le triptyque fermé mesure 220 cm de hauteur sur 195 cm de longueur et quand les panneaux sont ouverts, il mesure 220 cm de hauteur sur 386 cm de largeur. Le panneau central est presque carré puisqu’il mesure 220 cm sur 195 cm et les deux autres panneaux latéraux sont identiques, les deux mesurent 220 cm sur 97cm.
Le jardin des délices est une commande d’Henri III, il était comte de Nassau et seigneur de Bréda. Selon les historiens, Henri de Nassau était un bon vivant porté sur les plaisirs de vie. Il organisait souvent des fêtes et des banquets et avait un lit de 50 places pour accueillir ses invités ivres morts. Dans la collection du comte, c’est-à-dire dans son palais, il y’avait deux autres tableaux près du Jardin des délices. Le premier tableau de Gossaert représentant Hercule et Déjanire et le deuxième s’intitule Le jugement de Paris de Lucas Cranach. Le point de convergence entre ces trois tableaux est la nudité.
Actuellement, le tableau est conservé au Musée de Prado à Madrid.
Analyse
Quand les volets du triptyque sont fermés :
Nous remarquons que la couleur grise est dominante. En effet, le gris est souvent utilisé par les peintres flamands dans les volets extérieurs.
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La terre est représentée sous forme d’une sphère. Un croissant supérieur sépare le ciel de la terre et un autre croissant inférieur sépare la terre de la mer souterraine. Le triptyque fermé fait écho à un épisode de la genèse, il s’agit du troisième jour de la création du monde. Dans le tableau, nous constatons l’absence des étoiles, du soleil et des animaux. En effet, selon la Bible Dieu créa les étoiles et les saisons au quatrième jour et les animaux entre le cinquième et le sixième jour. Ainsi, nous pouvons affirmer qu’il s’agit du troisième jour de la création du monde.
Il est intéressant de souligner le jeu de clair-obscur. La partie gauche de la terre est plus éclairée que la partie droite grâce à la présence d’une lumière.
Cela s’explique par la présence d’un homme en haut à gauche. Il s’agit d’un vieux et il a une barbe blanche.
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C’est dieu en entrain de créer le monde. Il tient un livre à la main et lève son index pour ordonner la création du monde. Près de lui en haut, il y’a deux inscriptions latines. A gauche, c’est écrit « Ipse Dixit et facta Sunt » et à droite c’est écrit « Ipse Mandavit et crea sunt ». Il est possible de traduire ces deux expressions par « lui parle, ceci est. », « lui commande ceci existe ». Ce passage rappelle un extrait du cinquième verset du Psaume n 148. Le verset « Qu’ils louent le nom de l’Eternel ! Car il a commandé, et ils ont été créés » il renvoie également à la genèse « que la lumière soit et la lumière fut » ce qui pourrait expliquer la présence de ce rayon de lumière à gauche.
Comment analyser l’enchainement des trois panneaux ?
Il est possible d’interpréter le triptyque de deux manières :
1) Soit nous faisons une lecture chronologique et nous considérons que le triptyque fermé représente le passé puisqu’il s’agit de la création du monde. Pour le triptyque ouvert : d’abord, le premier panneau est le passé c’est le paradis. Ensuite, deuxième panneau est le présent c’est le monde avant le déluge et enfin le dernier panneau est l’enfer.
2) Soit nous faisons une lecture qui prend en considération l’opposition entre l’utopie et la réalité. Donc, le triptyque fermé est le passé création du monde. Le premier panneau le paradis. Le deuxième panneau est l’utopie c’est-à-dire notre monde sans péché originel et enfin le dernier panneau est l’enfer terrestre (nous suivrons cette lecture)
Le premier panneau : le paradis l’union d’Adam et Eve :
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( Premier panneau : le jardin des délices)
En analysant le premier panneau, nous essayerons de répondre à la question suivante « Ce panneau représente t’il le péché originel ? »
Pour répondre à cette question, il est intéressant de comparer le jardin des délices à un autre triptyque de Bosch intitulé Le Chariot de Foin. Pour le Chariot de F. le premier panneau est composé de quatre niveaux.
( Premier panneau : le Chariot de Foin)
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En haut, il est question des anges déchus tombant du ciel. Plus bas, Dieu en train de donner ses commandements à Adam et Eve. Ensuite, il y’a l’arbre de la connaissance du bien et du mal et un serpent tentateur qui a une tête humaine en train de discuter avec Adam et Eve. Enfin, vers le bas, l’ange Gabriel expulse Adam et Eve du paradis puisqu’ils ont péché.
Pour le premier panneau du jardin des délices, comme pour le Chariot de Foin, la perspective crée un effet de profondeur et nous permet de visionner de loin les objets et les personnages. Aussi, permet-elle de situer les animaux et les Hommes dans le panneau afin de mettre en relief la distance qui les sépare.
En effet, grâce à la perspective nous remarquons que le serpent tentateur et l’arbre de la connaissance du bien et du mal sont en haut à droite donc ils sont éloignés d’Adam et Eve. Ainsi, nous pouvons déduire que le péché originel n’a pas été représenté. Il n’y a aucun indice de tentation et de chute. Bosch ne fait montrer que le mariage d’Adam et Eve. Ce panneau est une représentation de la genèse lorsque Dieu créa l’homme et la femme et leur dit « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et l’assujettissez, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre »
Dans le tableau, Dieu est représenté jeune contrairement à sa présentation quand le triptyque est fermé. Il est représenté sous les traits de Jésus. Il regarde le spectateur, tient Eve par le poignet et touche Adam du pied. Il s’agit donc d’un intermédiaire qui relie Adam et Eve. Dieu fait également un geste de bénédiction. Certains exégètes comme Fraenger trouvent que l’union de ces trois figures est une représentation de l’institution divine du mariage. Près de ces trois personnages nous remarquons la présence d’un arbre à droite. Il ressemble à un dragonnier des canaries. L’arbre pourrait être associé à l’arbre de vie. Il est important de distinguer l’arbre de vie de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. L’arbre de la vie symbolise l’immortalité.
Au deuxième plan, il y a un lac et une fontaine rose qui occupe le centre du panneau. Il s’agit d’une représentation de la fontaine de Jouvence, nommé également la fontaine d’immortalité. Dans la mythologie biblique, cette fontaine symbolise la purification et la régénération. Elle permet de restaurer la jeunesse, cela pourrait expliquer la représentation d’un dieu jeune.
Pour les créatures animales, il existe un mélange d’espèces d’animaux réels avec d’autres espèces fabuleuses par exemple à droite en bas, il y ‘a un lapin, en haut à gauche un éléphant, un singe, une girafe. Ce sont des créatures réelles. En revanche, il y ‘ a d’autres créatures fantastiques c’est le cas pour la licorne à droite en train de boire de la fontaine. Pour le lézard à trois têtes en bas qui pourrait rappeler la créature mythologique l’hydre de Lerne. En bas à droite il y a un étrange animal noir en train de lire. Les critiques parlent d’ironie de la part Bosch puisque le livre n’a pas encore inventé dans le jardin d’Eden.
A droite, près de la fontaine de jouvence nous pouvons apercevoir une forme qui ressemble à la forme d’une figure humaine. Il s’agit donc d’une paréidolie. C’est un rocher, l’animal sous forme serpentine crée une forme qui ressemble à une moustache. Il y’a un autre animal noir qui ressemble à un escargot et sa coquille rappelle la forme de l’œil.
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Selon les critiques, le peintre surréaliste Salvador Dalí s’inspire de cette forme dans plusieurs de ses tableaux par exemple La persistance de la mémoire 1931 et Le grand masturbateur 1929. Dans ce tableau, plusieurs éléments sortent de l’inconscient du peintre par exemple la sauterelle provoque un sentiment de peur chez Dali et la non-érection de l’homme qui est près de la femme fellatrice s’explique par l’angoisse face à l’inceste etc. Dans cet ordre, les critiques du XX siècle analysent les tableaux de Bosch en s’appuyant sur les théories psychanalytiques de Freud. C’est pourquoi, dans le triptyque nous trouvons des formes qui dévoilent l’univers fantasmagorique de Bosch à l’instar des formes phalliques : la fontaine du premier panneau, la fontaine du deuxième panneau et la chifonnie dans le troisième panneau.
Le panneau central : L’utopie ou le paradis avant le déluge
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Au niveau des couleurs, nous constatons que dans les deux premiers panneaux les couleurs froides sont dominantes par exemple la couleur bleue occupe une place de choix puisque les deux panneaux sont animés par l’eau, l’air et la mer ou encore la couleur verte qui souligne la présence des verdures et des arbres. En effet, les couleurs froides créent une ambiance de calme et de sérénité. Pour le panneau central, nous essayerons de répondre à une question qui été souvent posée par les théologiens de l’époque : « A quoi ressemblerait notre monde et la vie des êtres humains s’il n’y avait pas de péché originel ? ». Il est important de souligner que ce panneau était à l’origine du nom du triptyque è Le jardin des délices. D’abord, les dimensions du panneau central et la perspective nous permettent de comprendre que l’espace terrestre se caractérise par l’immensité. En d’autres termes, il s’agit d’un espace vaste et il y aura une place pour tout le monde. Cela pourrait expliquer la présence des personnes noires. En effet, à l’époque de Bosch il est assez rare de trouver des personnes qui ont la peau noire dans les tableaux de peinture. Nous remarquerons également que les hommes ne sont pas en train de souffrir, ils ne travaillent pas, ils ne s’entretuent pas mais ils sont en symbiose avec la Nature. D’ailleurs, même les animaux dangereux à l’instar des oiseaux gigantesques (à droite du panneau) et des grands ours (en haut dans le cercle) ne cherchent pas à nuire les êtres humains. Bien au contraire, il y a une certaine harmonie entre toutes les créatures. De plus, les êtres humains n’éprouvent pas de honte face à leur nudité puisque le péché originel n’a pas eu lieu et que l’arbre de la connaissance du bien et du mal est bien éloignée. Alors que dans la genèse verset 3 chapitre 7 à 10 c’est écrit « Aussitôt, les yeux de tous deux s'ouvrirent et ils se rendirent compte qu'ils étaient nus. Alors ils se firent des pagnes en cousant ensemble des feuilles de figuier ». Dans le triptyque, Ils sont tous jeunes et beaux. Il s’agit d’un univers dionysiaque, absence de la monogamie et du sentiment de la jalousie puisque tout le monde couche avec tout le monde. Le panneau a quelque chose de carnavalesque car il rappelle les fêtes princières et le monde du commanditaire Henri de Nassau, les banquets et le lit pour 50 personnes. Il sera intéressant de commenter la présence des fruits succulents. Il existe des cerises, des mûres et des arbouses. Ces fruits sont symbole de l’acte sexuel. Pour l’arbousier, chez les romains, il s’agit d’une plante sacrée qui symbolise l’éternité grâce à son feuillage toujours vert.
è Ainsi, nous pouvons dire que Bosch utilise un format liturgique c’est-à-dire le triptyque et les dimensions d’un tableau sacré mais le fond du triptyque est profane. Autrement dit, Bosch utilise un sujet théologique afin de créer une œuvre profane.
· Pour la composition de ce panneau : Le panneau central est composé de trois plans.
1) Pour le premier plan, ce plan se caractérise par le désordre. Il n’y a pas d’acte sexuel direct mais les fruits et les positions et les mouvements des hommes renvoient implicitement à la sexualité. D’une part, certains profitent du plaisir solitaire (c’est le cas pour l’homme à droite qui est seul et maintient un fruit rouge et sur son pied nous remarquons la présence d’un oiseau). D’autre part, d’autres représentent une véritable orgie (les hommes qui sont au centre du panneau). Aussi, les fruits rappellent t ils le fruit défendu. En bas, au centre un bras touche un gros poisson. En effet, le poisson est l’emblème de la luxure. Au niveau des couleurs, nous trouvons la couleur rose qui symbolise le sexe féminin et la couleur bleue qui pourrait renvoyer au sexe masculin. Donc, ces deux couleurs soulignent les plaisirs charnels et les rapports physiques. A droite, devant la tente, un homme tient une fleur dans la main et un autre homme a une fleur dans les fesses. Il s’agit d’une question souvent posée à l’époque de Bosch à quoi ressemblerait les excréments de l’homme s’il s’adonnait au plaisir de la chair et ne faisait que manger ? la réponse est que nos excréments ressembleraient à des perles et à des fleurs.
2) Pour le deuxième plan, par rapport au plan précédent ce plan se distingue par l’ordre. Les hommes tournent autour d’un bassin dans lequel se trouve des baigneuses. Certains chevauchent des animaux chimériques à l’instar du lion qui a la tête d’un chat. D’autres chevauchent des animaux réels comme les chameaux et les chevaux. A droite, il y a une créature hybride, il s’agit d’un homme qui rappelle les sirènes.
3) Pour le troisième plan, nous trouvons cinq constructions. Encore une fois, les couleurs dominantes sont le bleue et le rose. Ces constructions sont des sources d’eau. Au centre il existe une fontaine de vie et les quatre fleuves se croisent au centre. L’eau est le symbole de la régénération et de la fertilité. Dans ce plan nous constatons qu’il y a moins d’hommes que dans les deux autres plans. Par exemple, en bas il y a un homme qui touche les parties intimes d’une femme. En haut, deux hommes en train de faire des acrobaties. A droite un groupe d’homme nagent. A gauche, un autre groupe entourent une fraise, cela revoie à l’orgie et met en exergue l’univers fantasmagorique de Bosch. Il s’agit d’un tableau en mouvement. Mais ce qui est marquant, c’est la présence des créatures fantastiques et fabuleuses. Surtout au niveau du ciel. C’est le cas pour l’homme chevauchant un griffon à droite. C’est une créature légendaire souvent représenté avec la tête et les ailes d’un aigle et avec l’arrière d’un lion. Le griffon porte un ours, les animaux sont nocifs entre eux mais pas envers l’homme. Ce détail rappelle un détail d’un livre manuscrit enluminé qui s’intitule Les Heures d’Engelbert de Nassau. Il a été commandé par Engelbert II de Nassau et crée par Maître viennois de Marie de Bourgogne.
è Certains critiques associent ce panneau au mouvement religieux des adamites appelé également les adamiens. Pour résumer le principe de ce mouvement, nous citerons Tommaso Campanella. Dans la Cité du Soleil 1568, il écrit « l’homme doit être aussi heureux ici-bas qu’il sera un jour dans le ciel ».
è Si nous essayerons d’appliquer le schéma tripartite de la « roue de Virgile » sur ce tableau, nous pouvons dire que le panneau central et le panneau précédent représentent le style des Bucoliques. C’est le règne de la nature et l’innocence de l’Homme.
NB : Les exégètes qui ont proposé la première lecture c’est-à-dire Paradis / Le paradis sans péché originel / la chute en enfer considère que ce panneau est une représentation des vices de l’homme. Pour eux, le troisième panneau est la conséquence de la luxure et des actes sexuelles dominants dans ce panneau.
Transition : Au niveau de la composition du panneau central, nous avons déjà signalé le passage de l’ordre au désordre puisqu’au deuxième plan les hommes sont organisés alors qu’au premier plan ils sont en désordre. Cette composition prépare le passage de l’utopie au chaos. Dans les deux premiers panneaux, il y a un motif prémonitoire qui revient souvent : C’est la présence de la chouette. D’abord, nous la trouvons au premier panneau dans la fontaine de jouvence. Ensuite, nous la trouvons dans le panneau central à droite. Contrairement à la symbolique de la mythologie grecque, dans le triptyque la chouette ne renvoient pas à la sagesse mais plutôt au mal. Dans l’entrée Hibou du dictionnaire des symboles de Jean chevalier, on définit la symbolique de la chouette ainsi : "Parce qu'il n'affronte pas la lumière du jour, le hibou est symbole de tristesse, d'obscurité, de retraite solitaire et mélancolique. »
è Tous ces éléments annoncent le troisième panneau.
Troisième panneau : L’enfer terrestre :
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Au niveau des couleurs, contrairement, aux deux premiers panneaux il ne s’agit plus des couleurs froides mais des couleurs chaudes. Le marron et l’ocre au premier plan, le rouge et le jaune au troisième plan. Les couleurs chaudes souvent associé à la violence par exemple le rouge représente le feu et le sang. Le deuxième plan est dominé par le noir et le gris qui symbolisent la mort et la tristesse.
Ce panneau ne représente pas un simple enfer mais des enfers. L’enfer est divisé en quatre enfers : l’enfer des artistes, l’enfer des militaires, l’enfer administratifs et enfin l’enfer des joueurs.
1) Pour l’enfer des artistes : nous remarquerons la présence des instruments de musique. A l’instar du luth, de la corde de harpe, du tambour etc. Ces instruments ne ne sont plus source de plaisir et de musique. Ils deviennent source de souffrance puisqu’il s’agit d’instrument de torture. Par exemple, l’homme installé sur la chifonie se fait sodomiser par un bâton. Un autre collé sur une corde de harpe. Sa position rappelle la crucifixion du Christ. Nous pouvons voir la main d’un homme bloqué dans la buisine et nous remarquons la présence de la fumée, il a l’air de prendre feu. Un autre homme sodomisé par une flute et qui a du mal à retenir la buisine sur son dos. Un homme se cache dans un tambour afin de se protéger de la créature monstrueuse. De plus, il y a un monstre tout habillé en rose qui rappelle la figure divine du premier panneau. Nous avons l’impression qu’il s’agit d’un anti-christ. C’est le maître de choral des enfers. Il oblige les Hommes derrière lui à chanter une partition inscrite sur les fesses d’un homme. Nous écouterons cette partition à la fin de l’analyse de ce panneau. Pour mieux comprendre le tableau de Bosch, il faut utiliser tous les sens. En effet, les instruments de musique surdimensionné et les mouvements des hommes qui se bouchent les oreilles soulignent la cacophonie et les sons insupportables. De surcroit, dans l’enfer des artistes il y a l’Homme-arbre qui nous regarde droit dans les yeux. La blancheur de son corps qui contraste avec l’arrière-plan obscur met en avant cette figure énigmatique. Ses jambes ont la forme des troncs enracinés dans des navires qui flottent sur les vagues glacés. Il a le corps d’un œuf cassé. Ce qui est marquant c’est que ses branches le transpercent. Sur sa tête, nous voyons une cornemuse gigantesque source de musique infernale. Les exégètes expliquent que l’homme arbre pourrait être un auto portrait de Bosch. Certains parlent d’un auto-portait ironique. Comme les bulles des bandes dessinées, les éléments qui sont au-dessus de la tête de l’homme-arbre reflètent ses pensées. Les critiques parlent d’auto-portait ironique puisque la cornemuse est représentée en tant qu’objet phallique. En d’autres termes, Bosch s’auto-présente en tant qu’obsédé sexuel. Il s’agit donc d’un auto portrait chargé d’auto-dérision. A l’intérieur de l’homme-arbre, il y a un autre mini enfer, c’est l’enfer des buveurs. A l’intérieur de son anus, il y’a une taverne. Une femme servante utilise le tonneau de fin pour servir les hommes qui sont autour de la table.
è Pour comprendre ce panneau, nous essayerons de répondre à la question suivante : Comment pouvons-nous expliquer la présence des artistes c’est-à-dire des musiciens et du peintre dans l’enfer des jardins des délices ?
Pour répondre à cette question, il suffit de comparer ce panneau aux deux panneaux précédents. Contrairement, au panneau du paradis et au panneau central, l’enfer terrestre se caractérise par l’apparition des instruments crée par l’homme. Revenons à l’étymologie de art. Art vient de l’étymologie latine « ars , artis » qui signifie artificiel. Ce terme est souvent associé au latin neutre « factum » du verbe « facerer » qui signifie fabriquer. Cette association a donné le terme « artefact » pour désigner tous les ustensiles, les œuvres d’arts et les bâtiments crée par l’homme et qui s’oppose aux phénomènes naturels. Pour le panneau central qui représente le monde utopique nous avons évoqué la roue de Virgile en disant que le monde fantasmagorique de Bosch rappelle les bucoliques puisqu’il s’agit d’un univers naturel. Pour ce panneau d’enfer terrestre, nous pouvons dire que l’enfer pour Bosch réside dans le hic et nunc c’est-à-dire dans le monde réel.
2) Pour l’enfer des joueurs : nous trouvons aussi des objets fabriqués par l’Homme par exemple le jeu de backgammon, les dés et les cartes. Un joueur est attaqué par une créature monstrueuse qui porte un bouclier sur lequel une main a été transpercé par un couteau et qui tient sur les deux doigts un dès. Un démon tient le jeu de backgammon. Un cœur est transpercé etc.
3) Pour l’enfer des administratifs : nous voyons une none habillée en porc, en train d’embrassé un homme afin de le séduire. Une créature monstrueuse habillé comme un chevalier porte l’encrier pour obliger l’homme à signer. L’homme derrière a le signe d’un crapaud sur son épaule. Le crapaud est le symbole du lien entre les sorcières et le Diable. L’enfer des administratifs pourrait être une critique des commerces des indulgences représentant un pacte avec le diable.
4) Pour l’enfer des militaires
Il y a un chevalier qui se fait déchiqueter par sept chacals. Il maintient une coupe d’or d’où tombe une hostie. Alors dans la tradition chrétienne, l’hostie est du pain partagé avec les fidèles lors de la communion. Derrière lui, une créature hybride transperce par une épée les guerriers. Dans l’enfer des militaires, nous trouvons des navires et des petits bateaux. Revenons à la lecture anthropologique de la roue de Virgile. Ces éléments pourront rappeler l’Enéide. Les navires et les forces des armées pourront faire écho aux voyages et surtout aux invasions.
è Les enfers de Bosch pourront rappeler les enfers de Dante puisque l’enfer n’est pas un seul enfer. Il s’agit de neuf zones circulaires et dans chaque cercle il existe un type de péché bien déterminé.
è Les critiques qui ont opté pour la lecture chronologique du triptyque considère l’humanité sourde à la loi divine du tableau central est punie. Pour eux, l’enfer est la conséquence du péché de luxure c’est pourquoi nous trouvons l’enfer des buveurs et l’homme qui a l’œuf sur le dos.
è Bosch est souvent appelé par les critiques en tant que « le faiseur de diables ». Dans cet ordre d’idées, il est intéressant de s’arrêter sur cette créature habillée en bleue. Il s’agit d’une représentation du diable. C’est une créature hybride, il a la tête d’un oiseau et le corps d’un homme. Il a une marmite sur la tête. Cette créature s’oppose à la figure de dieux que nous avons rencontrée quand le triptyque est fermé. Dieu a créé le monde et les créatures alors que se monstre ne fait que dévorer les damnés. Ensuite, il les lâche dans un puit.
L’incendie : Au troisième plan, nous remarquons l’importance de l’incendie. Les bâtiments sont en feux. Certains détails ressemblent à des volcans. Le feu est l’élément dominant dans ce panneau. Il s’agit donc d’une représentation de l’apocalypse. En effet, les tours en flammes et les feux spectaculaires incarnent une signature que nous trouvons souvent dans les œuvres de Bosch. C’est le cas pour son tableau les sept péchés capitaux, pour le chariot de foin, pour le jugement dernier de Vienne etc. Les critiques mettent souvent la présence de l’incendie dans les œuvres de Bosch en rapport avec un événement de sa vie personnel. En 1463, quand Bosch était encore enfant, un incendie avait réduit en cendres la ville de Bois-le-Duc.
Les critiques qui ont suivi la lecture chronologique du triptyque considèrent que le feu est allusion à l’épisode biblique de Sodome et Gomorrhe. Pour eux, les tourments infernaux sont le résultat de l’insouciance de l’homme face à la loi divine.
Avant de passer à la synthèse voilà la partition inscrite sur les fesses d’un damné:
Synthèse
L’originalité de ce triptyque réside dans sa complexité. Il s’agit de l’un des tableaux les plus énigmatiques de l’Histoire de l’art. Si certains considèrent que la compréhension du triptyque nécessite une lecture chronologique : paradis, paradis avant le déluge et enfer. D’autres estiment que l’œuvre de Bosch représente l’opposition entre le monde utopique et le monde réel. Nous avons opté pour la deuxième interprétation qui a été proposé au départ par Jean wirth ensuite par Frédéric Elsig pour plusieurs raisons. D’abord, pour analyse le jardin des délices la contextualisation est primordial. Comme nous l’avons déjà mentionné le commanditaire est Henri de Nassau- Bréda, un homme de goût, un bon vivant qui a un lit de 50 places pour ses invités. Ensuite, suite à l’absence du péché originel dans le premier panneau, nous nous demandons pourquoi il y aura-t-il un enfer si l’homme n’avait pas péché ? et enfin comment justifier le choix des types des enfers ?
Le jardin des délices est un tableau qui sollicite tous nos sens. Dans les deux premiers panneaux nous pouvons imaginer le chant des oiseaux, sentir les odeurs des fleurs, imaginer le goût des fruits succulents et visualiser les couleurs froides symbole de paix et de l’harmonie. Tout ces éléments installent un univers de calme, de sérénité et de symbiose avec la nature. Les éléments dominants sont l’eau et l’air. En revanche, dans le panneau d’enfer nous pouvons imaginer la cacophonie et les sons désagréables des instruments surdimensionnés. Ce qui pourrait expliquer la présence d’une oreille gigantesque transpercée par un coteau géant. Nous pouvons sentir l’odeur asphyxiante des flammes.
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